samedi 18 février 2012

Page 1 (Rose)

[Compilation des épisodes de la semaine, formant la page 1 du texte de Rose]

Margaret décida en un éclair, le 27 juillet 1988, jour de son anniversaire, qu'il n'était plus la peine de se questionner.

Elle s'était endormie la veille dans un avion qui la ramenait chez elle et avait rêvé d'une forêt sombre dans laquelle des centaines d'abeilles étaient prisonnières. Elle s'était réveillée juste avant que le déjeuner aérien soit servi. Un étrange odeur de fumée subsistait dans ses narines; en avalant ses sardines, Margaret repensa au surnom que Thomas lui avait donné: "petit scarabée".
Comme dans un roman photo, un flashback dans une série américaine des années 80, elle se remémora leur conversation de ce jour là, Thomas lui avait alors jeté un regard lourd de sous-entendus, elle sentit son cœur; longtemps cadenassé par les sentiments qu'elle éprouvait à son égard; se décrocher dans sa poitrine et elle fut emporté dans un torrent de larmes.
Depuis qu'il avait coupé les ponts, Margaret ne s'était plus jamais sentie elle même.
Margaret monta dans un vieux taxi vert et blanc connu pour leur manque de climatisation, un nuage de poussière derrière elle. Le vent chaud du désert s’engouffrait dans l’habitacle par la fenêtre entre-ouverte côté conducteur. Sur la route la ramenant à son appartement de Zamalek, elle laissa son regard se perdre dans les nuages moutonneux qui cachait le soleil d'hiver.
La vieille Peugeot quitta l'autoroute du centre par la bretelle ouest, de laquelle on pouvait apercevoir la carrière du Sporting Club, où deux équipes de polos s'affrontaient. C'était un lieu paisible et verdoyant, malgré la pollution et le tumulte environnant de la ville du Caire. Margaret se souvint d'une après-midi d'été qu'elle avait passé là-bas; elle avait retrouvé son amie Leigh pour déjeuner, la lumière des rayons du soleil se reflétait alors à la surface des fontaines en grès qui ponctuaient les chemins serpentant entre les arbres fruitiers; Leigh avait plongé la main dans son sac en toile, et en avait sorti une boite. En l'ouvrant, Margaret avait eu la surprise d'y découvrir la carapace d'un scarabée.
Le soleil s'était éteint, elle ferma les yeux, et passa la main dans sa nuque humide, la température était anormalement élevée pour un soir de janvier. Quand le taxi s'arrêta devant chez elle, au 21 de la rue Al Brazial, elle glissa dans ses sandales détachées et ouvrit la porte de la voiture.
Une brise lui caressa la joue et secoua doucement les feuilles du sycomore qui se trouvait à côté d'elle. On pouvait apercevoir une nuée d'insectes voler autour du lampadaire qui éclairait faiblement la grille de l'immeuble Abd-el-Mounir.
Une étoile filante traversa le ciel si clair des soirs de pleine lune; ou peut être était-ce un avion; Margaret fut prise d'un vertige, et sa vision se brouilla pendant quelques secondes. Elle s'appuya contre le mur, encore chaud, et leva les yeux. En regardant cette lune si pure, elle fut transportée dans l'oasis de Siwa, palmeraie luxuriante au milieu du désert brulant à la frontière libyenne, où elle avait passé son enfance. Toutes les nuits, les Siwis allumaient des lampes à huiles et en bordaient les chemins, les ombres des passants dansaient sur les murs, et l'odeur si particulière de pétrole brulé se mélangeait à celle des dattes trop mûres qui roulaient dans la poussière.
Margaret ouvrit la poche extérieure de sa valise Samsonite, et tâtonna à la recherche de ses clés...



(à suivre)

Rose

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