mercredi 29 février 2012

Episode 13

[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]


(Suite de l’histoire n°1) “À l’angle de Washington Street et de la 44ème, il choisit le sens du Nord, un sourire inexplicable sur sa bouche lippue. C’était la contingence qui lui ouvrait la voie et cette idée ne lui déplaisait pas. Un 4x4 Dodge ralentit à sa hauteur, la vitre du côté passager en train de descendre. Une main gantée de blanc forma un poing duquel se mit à dépasser le doigt du milieu. De l’habitacle du Dodge, plongé dans la pénombre, des rires gras pouffèrent avant de céder la place à une insulte raciale. S’ensuivirent une accélération, un feu de clignotant ironique compte tenu de la morale des occupants, puis un virage mal négocié compensé par les roues motrices du véhicule. Calbert perdit son sourire buccal tout en préservant sa récente disposition à la bonne humeur. Il admonesta intérieurement ces petits cons de Républicains, leur souhaitant de se planter contre le premier arbre qui croiserait leur course folle. Sa joie mauvaise, qui n’était pas vraiment de la Schadenfreude, lui remémora le terrible accident de la semaine passée, et par contiguïté il se souvint aussi que le shérif Cathcart avait certifié que c’était un chêne qui avait eu raison du coupé Kia que sa femme appréciait tant. Janice l’avait acculé à l’évidence de la publicité que la télévision répétait en boucle et qu’ils avaient eux-mêmes reçue dans leur boîte aux lettres : puisque tout le monde voudrait son Kia entre Thanksgiving et Noël, alors elle irait acheter le sien. Janice n’avait pas traîné. Même pas une semaine après son faux caprice, elle avait montré le Kia rutilant à Calbert à son retour du lycée Thoreau, où il enseignait les lettres américaines. « Il te plaît ? » avait-elle susurré, à moitié gênée. « Je crois, oui » avait-il répondu, un ton insondable de reproche dans la voix. Il s’était demandé l’espace d’une nanoseconde si Janice était cinglée. Mais bon, après tout, c’était elle qui était à l’origine des vraies rentrées d’argent pour le ménage Robinson, comme c’était elle qui avait poussé Calbert à l’engrosser durant l’été dernier. On sait ce qu’il est arrivé ensuite : Janice s’est tuée. On a retrouvé un morceau du fœtus à plusieurs mètres du lieu de l’impact. Le shérif Cathcart n’a pas jugé pertinent de transmettre à Calbert ce détail.” (Gregory Mion)


(Suite de l’histoire n°2) ”De retour au commissariat, Marc rejoignit le labo et Cécile fut invitée à patienter dans le corridor. Outre le fait qu’elle était rongée par l’anxiété suite aux diverses découvertes de Marc, elle était par ailleurs très inquiète de devoir subir les examens médicaux de rigueur. Il était impératif qu’elle évite la prise de sang. Il allait déjà être fort difficile de conserver le semblant de l’innocence compte tenu des éléments que Marc avait recueilli au cours de l’enquête, cela deviendrait à coup sûr impossible s’il venait à découvrir les traces d’empoisonnement dans son organisme. Les mains croisées dans le dos, elle faisait les cents pas dans toutes les directions possibles.

Marc avait déjà commencé à ausculter les indices recueillis sur les lieux. Il avait remis les fibres de laine et les échantillons de feuillages et de cendres aux laborantins et s’attelait à étudier de son côté les éléments trouvés dans le sac en feutre rouge. Il commença par le cadenas et observa à la loupe et au néon la serrure. Il était évident que celle-ci avait été forcée. Et Marc fut satisfait de découvrir cela. Une petite idée de scenario avait déjà commencé à germer dans son esprit.” (Prisca)


(Suite de l’histoire n°3) “Un jour, une idée plutôt lumineuse lui était venue à l’esprit… S’il arrivait à pénétrer l’univers étrange d’Hestia, peut-être trouverait-il la clef du mystère.

C’est ainsi, que nuit après nuit, Morphée tentait de rêver de Nodiesop et de son abeille. Les premières tentatives ne furent pas convaincantes. Le poisson tombait toujours de l’arbre emportant l’abeille dans sa chute et finissait écrasé par une patte de lapin bleue géante qui sortait du néant. Malgré la tournure désastreuse que prenait l’histoire, Morphée ne s’avouait pas vaincu par cette fatalité et persistait chaque nuit à reprendre le cours du rêve d’Hestia dans la bonne direction, évitant de croiser tout lapin susceptible de perpétrer un assassinat odieux contre un poisson innocent.” (Aimèphe)


(Suite de l’histoire n°4) “Le problème c'est que chaque fois qu'il a une idée, ça tourne mal. Côté animal, il est bredouille. Côté cadenas... l'avion en flammes s'écrase sur un arbre.” (Antoine B.)


(Suite de l’histoire n°5) “Margareth regarda à droite, puis à gauche, comme pour vérifier si quelqu’un l’observait, elle se leva, enfonça la clé dans la serrure de la porte d’entrée et ferma la porte à double tour, puis elle retourna s’asseoir, ouvrit l’enveloppe et en sortit une feuille blanche, qu'elle déplia et commença à lire. Plus ses yeux parcouraient les lignes, plus son visage changeait, un rictus déforma sa bouche et elle jeta la lettre sur la table basse.” (Rose)

mardi 28 février 2012

Episode 12

[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]


(Suite de l’histoire n°1) “Il n’avait apporté qu’une valise dont les roues faisaient un horrible grincement. Ce n’était pas exactement le standing attendu pour errer à Phœnix. Le piranha, tout au contraire, jouissait d’une panoplie conforme aux intuitions qu’on pouvait se faire de lui. Devant le tapis roulant des bagages, il avait attendu son assortiment de sacs Lancel, sorti son téléphone portable, composé des numéros, parlé de ventes et promis de rappeler dès qu’il aurait entreposé ses affaires à l’hôtel – son téléphone, à la fin, grésillait d’une voix féminine, sûrement sa femme, vivante et en bonne santé. Calbert n’avait de son côté aucune réservation, aucune planification ; il était là moins par volonté que par impulsivité. En l’état, il était éligible pour passer une nuit à la belle étoile. À peine fut-il sur la modeste esplanade qui marquait l’entrée de l’aéroport qu’il se fit bercer par des haut-parleurs d’ambiance. Des moucherons s’agglutinaient vers les artifices de l’éclairage public. Les taxis étaient peu nombreux à cette heure-ci et les rares chauffeurs éveillés n’avaient pas l’air de vouloir le calculer (qu’il fût Noir était par ailleurs purement anecdotique en cet endroit de l’Amérique). Calbert entendit soudainement le bruit d’une fermeture automatique ; c’était le taxi qui venait d’embarquer le piranha, prêt à le conduire à son hôtel, à son emploi du temps millimétré. À travers la vitre, l’homme parut lui adresser un haussement de sourcil complice. Il s’était certainement cru obligé de faire un signe de reconnaissance à un passager qui aurait pu mourir avec lui si l’avion n’avait pas résisté aux turbulences. Calbert Robinson ne voyait pas d’autre explication à ce degré zéro de la communication. Il pensa « Va te faire foutre », suivit les feux arrière du taxi se perpétrer dans la banalité de la 24ème rue, et il décida de ne pas gamberger sur le programme de sa nuit. Il prit la direction opposée à la 24ème rue et commença marcher à une vitesse qui tarabustait les roues vétustes de sa valise.” (Gregory Mion)


(Suite de l’histoire n°2) ”Marc rangea la lampe dans un petit sac plastique qu’il enfourna dans la poche intérieure de sa veste. Il prit également le temps, au grand désespoir de Cécile, de prélever un peu de terre, d’eau et de cendres là où gisaient les traces de feu et les poissons morts en bordure de rivière. Il y avait également des nuées d’insectes qui stagnaient juste au-dessus, ce qui suscita encore un peu plus la curiosité de Marc. À ce moment précis, elle su que les heures étaient comptées avant qu’il ne découvre qu’il s’était passé quelque-chose de terrible à cet endroit. Il allait falloir la jouer très finement et ce n’était pas gagné étant donné son état de fatigue grandissant.

Ils continuèrent à longer la rive jusqu’à ce que Cécile indique l’endroit précis où avait eu lieu son agression. Marc prit un air encore plus grave qu’auparavant et se mit à fouiner consciencieusement de tous les côtés à la recherche d’indices, si minimes soient-il. Cécile fit mine d’en faire autant mais cherchait en réalité la valisette. Évidemment, elle n’était plus dans sa cachette sous l’arbuste. Ce qui voulait dire que le mystérieux homme masqué était en possession de la valisette et de la clé. Cécile se rendait compte que tout cela commençait à la dépasser complètement. Elle pensait être la seule à connaître l’existence de cette mallette mais elle était visiblement loin de maîtriser tous les tenants et les aboutissants de cette histoire.

Marc interrompit son intense réflexion :

- « Regardez ! »

Il tenait un petit sac en feutre rouge dans sa main droite

- « Qu’est-ce que c’est ? » Cécile était pour une fois réellement surprise de la trouvaille de Marc.

- « Je ne sais pas, je viens de le trouver en creusant un peu au pied de l’arbre »

Marc ouvrit le sac avec précaution et découvrit à l’intérieur un téléphone portable, une carte bleue au nom de M. Axel Merandi, et un cadenas. Ils restèrent tous deux perplexes durant quelques minutes. Marc finit par rompre le silence :

- « Vous connaissez ce monsieur Merandi ? »

- « Absolument pas »

Marc se releva et invita Cécile à en faire autant :

- « Il est temps que je retourne au commissariat pour étudier tout cela et que vous vous rendiez à l’examen médical, Cécile. Cette histoire ne me dit rien qui vaille et bien que vous ayez refusé la visite du médecin tout à l’heure, je préfère qu’il vous examine malgré tout. Vous avez quand même reçu un coup violent derrière la tête, nous ne pouvons pas nous permettre de vous laisser rentrer chez vous sans avis médical ».

Cécile ne discuta pas les consignes de Marc et se mit en direction de la voiture à ses côtés.” (Prisca)


(Suite de l’histoire n°3) “Elle en avait même parlé à son meilleur ami Morphée et lui avait fait promettre de garder le secret. Mais Morphée avait bien du mal à comprendre son histoire à dormir debout comme il disait, et surtout s’étonnait vivement qu’un poisson avec un prénom aussi stupide amoureux d’une abeille puisse avoir autant d’importance pour Hestia. Son empathie et son adoration l’ayant emporté, Morphée s’était pris au jeu de l’énigme qui tourmentait Hestia.” (Aimèphe)


(Suite de l’histoire n°4) “Mais c'est une autre histoire que lui seul peut vous raconter. Or il est en ce moment quelque peu occupé: ayant fait virer son parachute en direction d'une ville au pied des montagnes, il fait passer le temps de la descente en pensant au poisson mort par ma faute. Au néant qui menace toujours.
Le Narrateur est à présent un jeune homme d'une trentaine d'année, grand, brun et maigre. Il a en sa possession un téléphone satellite et une carte bancaire, mais il a sommeil. Quand il sera revenu sur terre, il ira se trouver une chambre d'hôtel pour faire un somme avant de continuer sa quête.
C'est une affaire de scarabée et de cadenas. Le Narrateur doit la résoudre à tout prix.”(Antoine B.)


(Suite de l’histoire n°5) “Le téléphone sonna, Margaret décocha et écouta, il semblait n'y avoir personne au bout du fil.
- Allo? fit-elle
Elle attendit quelques secondes puis raccrocha. Elle regarda par la fenêtre, une colonie de fourmis serpentait sur la terrasse. Elle s'enfonça un peu plus dans le canapé et attrapa la lettre dans sa poche droite.” (Rose)

lundi 27 février 2012

Episode 11

[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]


(Suite de l’histoire n°1) “À presque minuit heure locale, le vol American Airlines 386 atterrit sans choc majeur à l’aéroport international Sky Harbor de Phœnix, sur la piste illuminée de spots. Les passagers s’enquirent de leurs bagages à main surchargés, les uns parlant d’aller immédiatement à Scottsdale, les autres à Chandler, et d’autres encore à Glendale, c’est-à-dire des zones urbaines périphériques qui entourent le « downtown » de Phœnix. Calbert ne se pressa pas pour rejoindre les sorties disponibles de l’avion. Il marchait dans les pas du financier, qui ne s’était pas précipité non plus. Il était déçu que l’hôtesse à la croupe pittoresque ne fût pas des équipes désignées pour faire sortir les voyageurs – elle devait ranger les plateaux repas à l’arrière, vidant les nourritures non consommées en actionnant le broyeur de déchets. Calbert risqua un regard vers cette partie de l’avion. Une lumière s’échappait au bas d’un rideau tiré des deux côtés où l’on pouvait accéder à cette pièce à vivre du personnel de bord. Une ombre était effectivement en train de s’agiter derrière ce rideau, ce qui accréditait sa thèse. Calbert Robinson se figea un moment, le visage défait par le voyage et l’étalement de son deuil, puis il se retourna, porta son œil sur le pantalon Emporio Armani du piranha et passa indifféremment devant deux hôtesses grassouillettes qui le gratifièrent des commodités linguistiques relatives à ces situations d’aéroport. Il ressentit tout de suite l’air alourdi du Sud.” (Gregory Mion)


(Suite de l’histoire n°2) ”- "Marc, vous pensez que les hommes qui se sont introduis chez moi sont du village ?"

Marc releva les yeux.

- "Oui c'est tout à fait probable. Et je dirai même, au regard des traces de pas qui indiquent qu'ils savaient parfaitement se diriger au sein de votre maison, qu'ils connaissaient les lieux. Mais peut-être ne m'avez-vous pas attendu pour établir ce constat..."

Le parachute de secours de Cécile avait fonctionné, elle avait détourné l'attention de Marc des traces du bûcher. Mais elle avait susciter à nouveau sa suspicion. Son visage laissait parfaitement transparaître son malaise, elle n'avait jamais vraiment su mentir, encore moins face à un représentant de la justice. Mais il fallait impérativement qu'elle renforce sa carapace, l'heure n'était pas aux aveux, bien au contraire.

Elle cherchait une nouvelle idée pour se sortir de cette mauvaise passe quand elle aperçu quelque-chose briller quelques mètres plus loin. Elle s'avança avec hâte :

- "Marc, regardez, c'est ma lampe de poche !"

- "Ne la touchez pas !"

Marc enfila des gants et ramassa l'objet :

- "Vous portiez un pull en laine quand vous vous êtes faite agressée ?"

- "Non pourquoi ?"

- "Parce-qu'il y a des fibres coincées dans l'interrupteur, et cela ressemble à de la laine. Il va falloir que nous la fassions analyser également, on va peut-être pourvoir obtenir de précieuses informations."” (Prisca)


(Suite de l’histoire n°3) “Sur le chemin de l’école, elle y pensait souvent, ce qui avait l’avantage de calmer son anxiété, elle n’aimait pas l’école. Elle y pensait aussi pendant les cours, ce qui amenait son institutrice à la réprimander sévèrement pour ses rêvasseries. Elle finissait par être à la traîne et ne pas suivre le troupeau. Tout ce que demandait Hestia c’était simplement d’y voir plus clair.” (Aimèphe)


(Suite de l’histoire n°4) “Car je ne suis pas le narrateur de cette histoire. Mes rêves s'insèrent dans les interstices du réel, mais je n'ai pas le pouvoir de la narration - d'où ma difficulté à faire avancer ce récit par la moindre action décisive.
Le Narrateur, lui, était assis quelques rangs derrière moi, le temps de réunir les informations nécessaires à son récit; il pense en avoir assez vu et flotte à présent dans les airs, suspendu à un parachute, en direction de montagnes rocheuses et en grande partie enneigées - mais ça n'a pas l'air de l'inquiéter et ce n'est pas mon rôle de veiller sur lui.
Le Narrateur est un sacré gaillard, après tout: d'après son profil Facebook, il a exploré la nuit boréale armé d'une seule lampe torche, rentré chez lui a inventé une ampoule à filament indestructible, "pour ne plus jamais être seul dans le noir" a-t-il déclaré, c'est vrai qu'il était émotionnellement instable après ce voyage, son seul ami pendant des mois était une tortue dont il avait orné la carapace, peu à peu, de douzaines d'ampoules resplendissantes, la tortue a fini par mourir, condamné en justice il s'est exilé pour la Nouvelle-Zélande où il a élevé des moutons, en se sentant triste, jusqu'au jour où son troisième œil a commencé à le démanger.” (Antoine B.)


(Suite de l’histoire n°5) “Elle prit une casserole, y fit couler de l'eau et la posa sur le feu. Elle resta un moment immobile, observant les flammes, puis sortit une tasse du placard, le pot de café lyophilisé et une cuillère. Après s'être servie, elle retourna dans le salon. Dans la lumière rasante du soleil matinal, on pouvait voir les moutons de poussières qui suivaient les pas de Margaret sur le parquet.” (Rose)

samedi 25 février 2012

Seuil 2

La Team Three est arrivée au terme de son second cycle d'épisodes. Les épisodes 6 à 10 de chaque auteur ont été assemblés et mis en ligne:
  1. La page 2 du texte de Gregory Mion.;
  2. La page 2 du texte de Prisca;
  3. La page 2 du texte d'Aimèphe;
  4. La page 2 du texte d'Antoine B.;
  5. La page 2 du texte de Rose;
Bravo aux auteurs!

Les épisodes 7 sont en préparation.

Page 2 (Rose)

[Compilation des épisodes de la semaine, formant la page 2 du texte de Rose]

Elle poussa la porte de l'immeuble et monta dans l'ascenseur. Elle avait toujours trouvé que c'était un lieu propice à la réflexion. Elle regarda ses ongles, et l'ascenseur s’arrêta dans un soubresaut.
Margaret avança dans le couloir sombre qui menait à son appartement, et poussa la porte en bois gonflée par l'humidité avec difficulté.
A l'intérieur, l'air était lourd, et le ficus dans l'entrée paraissait tristement défraichît. Elle jeta sa valise dans sa chambre, et entra dans le salon. Elle resta un moment dans le noir, observant la rue à travers l'une des fenêtres, puis elle l'ouvrit et sortit sur la terrasse.
Elle resta un moment dehors, écoutant les lointains klaxons de la ville agitée par la tombée de la nuit, puis elle rentra et décida de se mettre au lit. Elle s'allongea sur les draps rafraichis par l'air conditionné et attrapa le livre de Fitzgerald qu'elle avait commencé lors de son voyage pour Paris, quelques jours plus tôt. Elle en lut quelques pages, puis, bercée par le chants des grillons du jardin, elle ferma un œil, puis deux, et plongea dans un sommeil profond.
Margaret fut reveillée au petit matin par la sonnette de son appartement. Elle se leva péniblement, attrapa la robe de chambre couleur feu qui pendait sur la vieille balance de pharmacien en fer forgé (Margaret avait toujours aimé les objets anciens et parfois inutilisables, certainement en souvenir de l'appartement de ses parents à Paris, où les livres faisaient office d'étagères...), et l'enfila. En croisant son reflet dans le miroir de l'entrée, elle aperçut un petit point rouge au creux de son épaule, sans doute une piqûre quelconque, elle décida de ne pas y prêter attention.
Elle ouvrit la porte, derrière se tenait Atem, le concierge. Il lui sourit, les plis de son visage semblaient comme dessinés au doigt dans de la glaise. Il lui tendit une lettre, un scarabée était imprimé au verso, puis, son dos se courba, il murmura un "ma'as salama" - au revoir en arabe - et détala comme une flèche dans l’escalier.
Elle posa la lettre sur le vide poche en cèdre et alla s'asseoir sur le canapé du salon. Après s'être assoupie quelques instants, elle se leva d'un bond, attisée par la curiosité et attrapa l'enveloppe. Sur son chemin pour la cuisine, Margaret essaya de deviner d'où pouvait provenir cette missive, elle la glissa dans la poche de son saut-de-lit et alluma la gazinière.


(à suivre)

Rose

Page 2 (Aimèphe)

[Compilation des épisodes de la semaine, formant la page 2 du texte d'Aimèphe]

Sa grand-mère était une très belle femme qui vivait seule dans sa tour d’ivoire entourée de livres et de myriades de fleurs de toutes les couleurs qui sentaient bon le bonheur. Elle adorait les énigmes et les échecs, s’insurgeait contre l’injustice, militait contre le racisme et figurait parmi les esprits les plus éclairés de notre siècle. Elle était en effet célèbre pour ses écrits philosophiques et ses essais contre la peine de mort du temps où les têtes des condamnés étaient encore coupées sous le joug de la justice. Mais ce qu’elle aimait par dessus tout, c’était le plaisir simple de se promener pieds nus sur la plage avec Hestia en lui contant les mythes de la Grèce antique.
Depuis la disparition de Léane, ses fleurs s’étaient fanées peu à peu et ses livres étaient devenus inutiles, oubliés, personne n’osait ranger la maison de peur d’éloigner son âme à jamais de sa demeure. Les nuits d’Hestia étaient cauchemardesques, elle ne pouvait s’endormir sans la lumière allumée dans sa chambre et toute une ribambelle de peluches tout autour de son oreiller pour la protéger.
Après quelques mois, ses angoisses s’étaient estompées, la vie avait repris son cours car Hestia s’était persuadée que sa grand mère veillait sur elle, tel un ange gardien.Puis l’absurdité s’était emparée de sa vie nocturne. Nodiesop, la tortue Cherokee, l’abeille s’étaient créés un univers au cœur de ses rêves. Il y avait parfois Lobtu l’extraterrestre qui s’immisçait parfois mais lui ne parlait pas français, elle n’y comprenait rien. Finalement son imagination onirique la dépassait et elle ne comprenait pas ce que signifiait l’interruption brutale des aventures de Nodiesop.
Pourquoi, cette main, cette lumière, ces bruits de pas au loin et toute cette angoisse qui l’empêchait de respirer ?La chute ça, aucune difficulté d’interprétation, elle en avait saisi tout le sens…
Tout ceci avait piqué sa curiosité, à force de répétition, elle brûlait de savoir pourquoi et craignait que cette question n’eût aucune réponse. Peut-être n’avait-elle pas assez exploré tous les recoins de son rêve, peut-être n’avait-elle pas été assez attentive, qu’une parole de Nodiesop ou de l’abeille lui avait échappée et qu’ils lui en voulaient ou peut-être la réponse se trouvait-elle dans sa vie réelle. Dans ce cas, est-ce que la mort de son poisson rouge, Scapin – qui était en fait blanc et orange – pouvait avoir un lien ? Est-ce que le jour où son père tua une abeille de sang froid pouvait tout expliquer ?Si le problème était lié à ce genre d’évènements, Hestia ne voyait aucune solution pour y remédier… A moins de savoir ressusciter les morts… et encore fallait-il trouver la cause réelle. La mort de son poisson rouge ou d’une abeille pouvait être totalement hors sujet. Elle savait qu’elle finirait par trouver la réponse.



(à suivre)

Aimèphe

Page 2 (Prisca)

[Compilation des épisodes de la semaine, formant la page 2 du texte de Prisca]

Un quart d'heure environ s'écoula avant qu'elle ne réussisse à se relever complètement. Elle s'apprêtait à retourner sur les bords de la rivière quand elle vit qqch parterre près de l'escalier. Des traces de pas. Des empreintes qui venaient du premier étage et qui se dirigeaient vers le salon. Elle suivit le chemin emprunté par ces pieds inconnus et se vit menée à la porte dérobée du bureau. Très bien. C'en était trop, elle décida de se rendre au commissariat. Allait-il falloir qu'elle soit habile tout de même, car elle avait elle-même des choses à cacher. Mais elle ne se sentait désormais plus en sécurité, il fallait qu'elle fasse quelque chose. Qui de mieux que les représentants de la loi pour assurer sa protection ? Ce ne serait certainement pas à son électricien de frère, membre permanent de la fédération officielle des abonnés absents, qu'elle pouvait envisager de demander secours. Ni à sa comptable de sœur, dont la vie ressemblait a s'y méprendre à un monastère en plein hiver. Et elle n'avait pas d'autre famille. Quelques amis, certes, mais de toute manière il fallait qu'elle reste discrète. Et paradoxalement il lui semblait beaucoup plus simple de dissimuler l'essentiel à la police qu'à ses proches. Elle pris son sac et se mit en direction du commissariat. Ce n'était pas très loin, dans les petits villages comme celui-ci, les forces de l'ordre siègent toujours au cœur de la petite cité. Ce qui parfois peut-être un vrai problème, mais en l'occurrence cela l'arrangeait bien. Dans les grandes villes, la maison de la loi réside souvent au rez-de-chaussée d'un immeuble en béton de cinq étages. Ici, on venait demander secours dans une maisonnette qui ressemble à une école primaire un lendemain de kermesse. Il y avait même des ampoules multicolores et des fleurs en plastique qui ornaient l'entrée. Fallait-il y voir un manque de crédibilité certain ? Leurs investigations étaient-elles à la hauteur malgré tout ? Autant de questions que tout le village se posait régulièrement.
Assise sur un banc à côté du radiateur, elle patienta environ une heure. Non pas que le commissariat fut bondé ou que les policiers furent débordés, bien au contraire…mais personne n’était encore venu prendre sa déposition. Finalement, un jeune homme l’invita enfin à passer dans son bureau. Il était fort aimable mais ne semblait pas dans une forme olympique. Son visage, comme aimanté par le sol, se décrochait à mesure qu’il faisait un pas devant l’autre. Cécile lui raconta en détail l’épisode du pont, ce qu’elle eut le temps de voir, son éveil chez elle, les traces de pas…elle n’oublia aucun détail, et mentionna même la lampe qu’elle avait sur elle et qui avait disparue à son réveil, les pétales de fleurs qu’elle trouva dans sa poche, la canne de son grand-père sans laquelle elle n’aurait jamais pu se relever, et même le miaulement d’un chat qui l’a fit sursauter quand elle se « baladait » sur les berges juste avant que l’homme masqué ne fasse son apparition. Elle lui raconta absolument tout - tout, sauf l’essentiel évidemment.
- « Très bien, je vous remercie mademoiselle Cerbiloni. Vous nous avez donné beaucoup de détails et c’est très important pour le bon déroulement de l’enquête. Néanmoins, il va falloir que je me déplace chez vous pour débuter mon investigation »
- « Je vous en prie, allons-y, monsieur… »- « Lieutenant Tilmann. Mais appelez-moi Marc »Cécile hésita un instant.- « Euh...oui, merci, Marc. Je vous y conduis »Ils sortirent du commissariat par la porte arrière qui donnait sur le parking. Cécile savait qu’elle jouait un jeu dangereux. Elle avait à la fois besoin d’aide pour comprendre ce qu’il se tramait autour d’elle et à la fois excessivement peur de se faire démasquer dans le même temps. Comme si au bord du gouffre elle réclamait désespérément un filet mais qu'il fallait impérativement qu'elle passe entre les mailles ! Décidément, la schizophrénie la guettait pour de bon. Elle repensait à cet homme masqué. Qui pouvait-il bien être ? Comment diable était-ce possible que quelqu'un d'autre eu connaissance de la valisette ?Ils arrivèrent en moins de 5mn à La Hutte. Cécile se demandait d'ailleurs quel était l'intérêt de faire ce trajet en voiture. Elle comprit quand elle vu Marc sortir une mallette de son coffre. À l'intérieur, il y avait des instruments de types médicaux. Elle regardait pas mal de séries policières à la télé, elle savait que ces ustensiles bizarres servaient à "récolter des indices". Intéressant. Pourtant, tout en l'observant faire, elle ressenti peu à peu un picotement traverser sa colonne vertébrale. Pour la première fois, elle sentait la peur l’envahir. Elle eut envie d’attraper et de serrer la main de Marc. Mais il fallait qu’elle se ressaisisse. Elle prit donc une profonde inspiration et se mit à repenser à Arc-en-ciel voyages et à tous ces fruits et ces insectes exotiques qu'elles allaient découvrir en Nouvelle-Calédonie quand tout cela serait fini.- « Les traces de pas ne sont pas toutes semblables, je dirais que deux personnes sont venues ici » lança Marc en beau milieu de son inspection.
Cécile abandonna l’espace d’un instant ses précieux insectes calédoniens :- « Ah oui ? »- « Vous ne savez vraiment pas qui a pu s’introduire chez vous ? Ni ce qu’ils cherchaient ? »L’étau de la justice se resserrait sur Cécile. Le sujet devenait brulant. Fallait-il qu’elle mentionne une partie de l’histoire pour aider au mieux l’enquête ou devait-elle feindre de ne rien savoir ?- « Je n’en ai vraiment aucune idée, Marc »- « Ok. »Marc ne semblait pas convaincu, mais il n’aurait su dire pourquoi.- « Je vais repasser au commissariat afin de déposer les prélèvements au labo puis j’irai faire un tour à la rivière. Il va falloir que vous veniez avec moi également »- « Oui très bien, je vous suis »- « Si le moindre détail vous revient il conviendrait de m’en faire part au plus tôt, Cécile. Je compte sur vous »Cécile sentait bien que Marc commençait à avoir de sérieux doutes quant à sa version édulcorée des faits. Et cela la déstabilisait de plus en plus.Ils quittèrent La Hutte et prirent la direction du commissariat.Le tonnerre grondait, un violent orage se préparait. La journée avait été terriblement longue et elle était loin d’être terminée. Cécile avait hâte de pouvoir retrouver les bras de Morphée et s’évader à nouveau vers sa destination favorite. Elle allait finir par tout connaître de la faune et la flore calédonienne avant même d’y avoir mis les pieds.
Après un bref arrêt au commissariat, Marc gara la voiture sur le pont et l’invita à lui montrer le chemin pour atteindre le lieu de l’agression. Cécile se sentait très fébrile. L’idée de se retrouver à cet endroit avec un représentant de la loi, qu’elle avait conduit elle-même ici de surcroît, la tétanisait.Elle marchait d'un pas lent et hésitant, comme si elle cherchait à retarder le plus possible leur arrivée sur les lieux. Marc suivait docilement quand il s'arrêta brusquement. Cécile se retourna :-" Marc ?"Il était agenouillé dans l'herbe.- "Il y a des cendres ici, et du bois brulé. Les traces d'un feu"Cécile sentit son cœur se décrocher de sa poitrine.- "...Ah bon ? C'est étrange..."Elle bégayait presque. Marc marmonna à son tour :- "Mmmm...C'est très bizarre. Nous ne sommes pas dans un endroit fréquenté par les gens. Les bordures de la rivière sont à peine praticables par ici. Qui donc a pu faire un feu à cet endroit...et surtout pourquoi..."Cécile n'en revenait pas qu'il puisse être aussi suspicieux. Elle avait pourtant prises toutes les précautions nécessaires. Marc se retourna et s'approcha de l'extrême bord de la rivière.- "Et il y a des poissons morts ici !"Cécile n'osait même plus répondre. Une question, il fallait qu'elle trouve rapidement une question pertinente à lui poser afin de détourner son attention.


(à suivre)

Prisca

Page 2 (Gregory Mion)

[Compilation des épisodes de la semaine, formant la page 2 du texte de Gregory Mion]

Les dispositifs lumineux chargés de nous rappeler que la ceinture de sécurité doit être attachée étaient en alerte. Ils dégageaient une phosphorescence surnaturelle, comme la chevelure dorée d’une princesse retenue au sommet d’un donjon contraste avec la noirceur de l’édifice. Sous l’effet de cette pyrotechnie artificielle, le suicidaire se détourna un instant de ses ratiocinations, quitta la scutigère des yeux en même temps que ses projets mortifères, revit le piranha qui se cramponnait à son magazine, une sueur de bœuf ensemencée sur sa figure, et il tomba sur cette main féminine qui fleurissait sur le dessus de son siège, enracinée parce qu’elle se cramponnait aussi. Il ne se demanda pas longtemps à qui elle appartenait ; il n’eut qu’à remonter la pente corporelle qui allait de la main à l’épaule, puis de la clavicule au cou, et enfin il soupesa la vue de dos qui s’offrait à lui, tel un immeuble filiforme domine une avenue dont les bâtiments sont en majorité construits dans le sens de la largeur. Nous n’aurons aucun mal à identifier l’hôtesse qui surplombait de sa fonction (et de son allure) les ruelles d’un avion qui s’enfonçait dans l’épouvante.
Il était décidé à faire la lumière sur cette exquise hôtesse – récupérer son adresse, recenser les monstres de son enfance, ceux qui sont cachés dans nos placards avec des têtes hideuses, connaître ses fleurs préférées, reparler derechef des monstres domestiques, et ainsi de suite jusqu’à l’épuisement des ressources formelles que l’on peut soutirer d’une première discussion. Pas une once de culpabilité ne l’étreignit à l’idée d’entrer en séduction. Si cette femme avait le pouvoir de lui redonner le goût de vivre, alors il n’était pas contre à plonger dans un fleuve d’érotisme, quitte à nager à contre-courant, en totale discordance avec le cadavre de son épouse, dont la putréfaction avait déjà dû commencer, aidée par le magnétisme des vermisseaux qui sont un peu les scutigères des sous-sols. Oh il n’était pas rempli d’allégresse devant pareille ambivalence ! D’un côté il y avait ce cadavre qu’on ne lui avait même pas permis de voir, et de l’autre il y avait cette femme en uniforme qui accaparait le caractère inquisiteur de sa vision. Du reste, comme il était assis et qu’elle était debout, qu’elle lui tournait le dos et qu’elle était légèrement penchée sur le côté du fait de sa main posée sur le siège, il saisissait le détail d’une fesse bombée qui remplissait un coin de la robe et qui laissait deviner la délicatesse d’un string, un de ces détails dont raffolent les adolescents, les célibataires et les veufs.
Devait-il sur ce fessier déposer une main intrépide ? Désormais les bigarrures de la concupiscence envahissaient son esprit. Le suicide persistait quand même à l’état de bourdonnement, il continuait d’essaimer son poison, ne nous faisons pas d’illusions là-dessus. Ceci étant, l’intermédiaire du sourire en ficelle que le string dessinait sur cette géométrie turgescente temporisait les flux de la bile noire. Oui, il allait procéder comme à la maison, comme les gens qui se sont encastrés dans l’ordinaire de la répétition et qui n’ont plus peur de soutirer de leur fondement une flatulence sournoise qui, pourtant, ne provoque aucune réponse émotive notable chez le conjoint. Voilà comment il allait faire. Par analogie avec ce laisser-aller, il déposerait un ou deux doigts sur le tertre de ce postérieur et il verrait la réaction de l’hôtesse. Il n’y avait de toute façon pas tant de solutions que cela : ou elle lui assènerait une gifle d’indignation, ou elle croquerait cette initiative. C’était elle ou lui, sinon elle et lui, du moins à condition d’interpréter le premier « ou » comme une disjonction. Maintenant, le nœud dramatique résidait moins dans la résistance de l’avion que dans la suspension du geste obscène qui s’apprêtait à être commis. C’était une affaire dans l’affaire et elle impliquait d’une part le va-tout du professeur Calbert Robinson, d’autre part le seuil de moralité de mademoiselle Carrie Stove. Il était Noir, elle était WASP.
Ce fut un doigt crispé qui fit la connaissance de Carrie Stove. Les ongles de Calbert étaient mal coupés, à moitié rongés, si bien qu’ils formaient des échancrures inesthétiques. Quand il appliqua son index sur la fesse droite de Carrie, plus exagérément qu’il ne pensait avoir la faculté de le faire, l’hôtesse défroissa son visage angoissé en composant un air de surprise. Elle crut d’abord à une piqûre. Carrie avait horreur des animaux propriétaires d’un dard car sa mémoire charnelle gardait un mauvais souvenir des guêpes de son adolescence. Par instinct, elle fit un tour complet sur elle-même, vérifiant le peuplement animalier qui pouvait éventuellement occuper ce terrain d’oxygène. Ne voyant rien, elle fit un rapide inventaire du sol. La scutigère se faufilait entre ses jambes ! Carrie ne tergiversa guère plus d’une seconde tant elle était convaincue que cette atrocité l’avait mordue. De son talon gauche, elle transperça l’insecte d’outre en outre. Tout cela avait eu lieu tandis que l’avion persévérait dans sa lutte. Seul Calbert avait observé le façonnement du quiproquo, les autres passagers étant anesthésiés par l’imminence d’une catastrophe. Voilà donc que la scutigère était réduite en bouillie et que sa tentative de socialisation avait fâcheusement échoué. En sus, Carrie rejoignit la grotte du personnel, située à l’arrière de l’appareil.
Au bout d’un temps, la constitution du monde se réorganisa. Les houles du ciel en perte d’énergie, le Boeing d’American Airlines recadra sa position. Chaque voyageur put s’en remettre à la somnolence habituelle dans laquelle on se laisse fondre lorsque les voyages durent plusieurs heures. Ils oubliaient, ces voyageurs, leurs réminiscences où ils avaient vu en dernière instance l’aboutissement de la mort. Calbert, en revanche, s’avoisina derechef de l’ouragan mental auquel il était abonné depuis la mise en terre de son épouse. Il ne pouvait s’adonner à aucun sommeil, qu’il fût biologique ou dogmatique. Près de lui, le piranha de la finance piquait du nez sur une double page du Financial Times où l’on discutait des options économiques en vue du redressement de la Grèce. Calbert ne voyait pas comment il était possible de se consumer pour des sujets aussi traumatiques. En tout cas, l’économie européenne devait être plus rassurante pour l’esprit que la domiciliation d’une ribambelle de concepts littéraires. En ce moment, la littérature aggravait la déréliction de Calbert ; il se sentait orphelin d’amour et de scutigère. Cela dit, il ne progressa pas tellement dans cette ligne de réflexion puisque l’on fit savoir que l’atterrissage à Phœnix approchait. Par le hublot, on distinguait un horizon lumineux qui ressemblait à un grand feu de camp. C’était la ville qui brillait dans la nuit de l’Arizona.

(à suivre)

Gregory Mion

Page 2 (Antoine B.)

[Compilation des épisodes de la semaine, formant la page 2 du texte d'Antoine B.]

J'ai regardé ce que faisaient les autres autour de moi. Objectivement, et même si l'on s'occupe de nous en nous ôtant du même coup une part de notre indépendance, et même si en dernière instance nous dépendons des plans que Vulcain a tracés pour nous à coups d'éclair hasardeux (ou non) dans le ciel, les passagers d'un même avion partagent un intérêt commun, celui d'arriver à bon port, et forment donc une équipe.
Seulement, on ne sait jamais qu'a posteriori ce qui se passe dans la conscience d'autrui. En plus, en ce moment, tout le monde dort. Il faut je crois me satisfaire d'avoir ramené l'avion sur son trajet initial, de m'être éveillé un moment.
Sauf que je n'arrive plus à me rendormir: tout tordu dans mon siège de classe économique trop petit pour moi, ma position corporelle doit ressembler, vue de l'extérieur, à un point d'interrogation inversé. C'est dire si j'ai besoin de m'étirer.
Si j'étais dans une tour plutôt que dans un tipi, on pourrait imaginer les choses autrement: soit dans un univers médiéval, je marcherais pieds nus à la recherche d'une fleur magique dont le pollen en potion rendrait la vie à ma dulcinée cataleptique; soit dans la jungle urbaine contemporaine, j'aurais une idée pour réduire les inégalités économiques, mes voisins m'aimeraient bien.
Mais c'est un tipi alors je suis dans un avion.
On devrait être presque arrivés. Le temps qu'apparaisse une fleur sur l'appuie-tête de mon voisin; vite!, je l'attrape et la glisse dans ma poche. Au moment de me retourner, je me rends compte que l'enfant assis derrière moi m'a vu, il risque de compromettre mon incognito, mais heureusement il y a un loup-garou derrière lui qui va le manger bientôt, je n'ai qu'à laisser la nature faire son travail.
Hum. Je ne dois pas être bien réveillé. Je me retourne et fait semblant de me rendormir, c'est peut-être le meilleur moyen de me réveiller.
En imaginant que je sois encore en train de rêver, sous l'effet de mon somnifère, cela expliquerait pourquoi... mais la fleur! Mais j'ai pu rêver qu'elle apparaissait. Cette historie de loup-garou n'était quand même pas très nette. Donc, si je suis encore en train de rêver, sous l'effet de mon somnifère... Donc, si je suis encore en train de rêver...
Je me suis rendormi. C'est sans doute bien, quand je me réveillerai on sera arrivés. J'aime dormir en voyage.
J'ai peut-être trop travaillé ces temps-ci. C'est que j'essaye de rattraper un retard initial. Mais tout de même, mon œil intérieur continue d'être aimanté par le malheur, toute l'architecture du monde est à l'envers, aucun flambeau dans mon obscurité, aucune orthèse pour me soutenir. Et mon chaman qui ne fait rien!
Lorsque je me réveille, je sors la tête du tipi et je regarde de chaque côté. Je dois avoir l'air d'un extra-terrestre, avec mes yeux tout lapidés par les fumées narcotiques. Quelqu'un passe qui me montre sa main vide pour m'assurer de ses bonnes intentions. C'est gentil.
En levant la tête, j'aperçois un arc-en-ciel et j'hésite entre deux possibilités opposées mais complémentaires: soit la mort, tragique, d'une abeille écrasée par une pomme (au Paradis des Abeilles, on joue aux fléchettes avec pour cible un portrait de Newton); soit l'option plus comique d'une maison hantée en forme de L.
On dirait que je vais mieux. Sorti du tipi, j'ai les idées plus claires. Dans l'avion, je dois être en train de me réveiller.
Les tours, c'est l'un ou l'autre. La mort tragique a laissé l'abeille toute retournée: elle est amoureuse d'un petit scarabée. C'est drôle ou triste?
Car elle le piquera dans l'étreinte, jugée pour meurtre elle sera condamnée au feu des enfers et au signal retournera à sa place d'où elle recommencera, car c'est une métaphore, son cycle coupable jusqu'à nouvel ordre.
D'un côté, l'avion touché par la foudre prend feu, plonge dans l'inconnu pour s'écraser, a priori, d'après mes souvenirs, sur un arbre.
De l'autre, un petit scarabée gelé se sent mieux depuis qu'une abeille a fini par le laisser tranquille, l'abeille a disparu, le poisson mort dans sa poubelle rêve d'un rôle plus substantiel dans l'histoire du monde.
Au milieu, j'ai dormi longtemps, mais je vais me réveiller.



(à suivre)

Antoine B.

Page 1 (Antoine B.)

[Compilation des épisodes de la semaine, formant la page 1 du texte d'Antoine B.]

L'apparition d'une abeille dans l'avion manqua provoquer la panique. Seul le sang-froid de l'équipage armé de magazines permit d'accalmer, en l'écrasant, le remue-ménage qui menaçait. Personne ne remarqua le scarabée qui rampait depuis avant le décollage dans les circuits du train d'atterrissage et qui, logiquement, gela une fois atteinte une altitude qu'il serait intéressant de calculer. Quant au poisson, c'était vraiment une mauvaise idée de le téléporter directement dans un avion, il ne fut qu'un court flap, flap sur la moquette avant d'expirer, puis d'être ramassé par une hôtesse pressée qui le jeta à la poubelle sans y penser.

C'est un fait, le voyage se prête peu à ce genre d'expériences, mais la succession de mes images mentales est :1) régie par le hasard donc, nécessairement, un jour ou l'autre incongrue. 2) impossible à interrompre. Sauf en dormant. Peu importe mes rêves ils ne semblent pas avoir de prise sur le monde réel. J'avalai donc un somnifère, merci la science, car je n'avais pas pu emporter en avion mes drogues habituelles. Et je m'endormis gentiment.

C'est Vulcain qui me réveilla. Un flash. Puis un grondement. L'avion tangue. Mon hublot s'emplit de flammes. Objectivement, notre sort devient incertain. Et ce dont je me souviens ensuite, c'est un arbre.
Etait-ce une hallucination due à l'effet du somnifère sur mon cerveau, il faut l'admettre assez sensible aux opiacés, ou un véritable crash aérien? Etant donné les circonstances, c'est difficile à dire. Résumons.
Je suis dans un tipi. Mon troisième œil, l'œil du milieu, est inversé. Cela signifie que je vois certaines images à l'envers, certaines à l'endroit, d'autres obliques. C'est pour cela que le chaman me soigne à l'aide de concoctions délicieuses qui enfument l'espace clos du tipi: pour redonner à mon œil intérieur la capacité d'ordonner les éléments du monde. Sauf qu'il exagère un peu, mon chaman: on dirait que le traitement est pire que le mal! Je dois avoir aux lèvres un sourire béat, si j'en crois la bave qui me coule dans le cou par leurs deux coins, mais intérieurement c'est la panique: de nouveau un éclair, dirigé en plein vers moi!
Puis je tombe, comme la pomme d'Isaac Newton.
Je me sens comme un poisson dans un avion.
Le temps passe, le temps passe, demeure ma chute interminable.
Je n'ai pas la clé. Si j'avais la clé les choses seraient différentes. Mais je n'ai pas la clé.
Une tortue qui regarde le temps qu'il fait, ça me dit quelque chose, mais je sais que le temps est orageux, du moins autour de l'avion, à l'extérieur du tipi je ne sais pas. S'il pleuvait je crois que je l'entendrais.
Mais je n'entends rien. Ce qui veut dire que quelqu'un est en train de ne rien dire. Mais je ne sais pas encore qui c'est.
Je continue dans ce rêve obscur et pénétrant, dont le secret réside peut-être dans les sonates pour piano de Beethoven, que j'écoute sur mon ipod pendant que se font sentir les effets du somnifère et qui m'influencent. Si je suis dans un avion.
C'est une idée: si l'éclair qui m'aveugle n'a rien à voir avec la chute sur laquelle je comptais... Mais ce serait trop abstrait, comme une fable qui suivrait docilement des floraisons inversées.
Ce serait gelé, comme le petit scarabée dans les circuits du train d'atterrissage d'un avion à bord duquel je suis endormi, à une altitude présente de 10000 pieds, pour une température extérieure de -56°C, quelque part au-dessus du globe. Ou en train de tomber après l'explosion d'un réacteur touché par la foudre. Ou sous le tipi d'un chaman qui me soigne les dérèglements d'un pouvoir qui me permet, non à ma guise mais de manière très concrète, de conjurer des objets réels à partir de mes images mentales. Ce pour quoi j'ai souvent besoin de me reposer.
Quand une abeille meurt, elle va dans un monde merveilleux qu'on appelle le Paradis des Abeilles. Au Paradis des Abeilles, la petite abeille qui est morte au début de cette histoire sous les coups d'un équipage armé de magazines, quoique sa vie ait été brève entre le moment où elle avait été conjurée matériellement depuis le monde des idées, est quand même heureuse parce que sinon c'est trop triste.
Moi, je dors. Et c'est pour ça que rien ne se passe dans la réalité. Il faut que je me réveille. Mais le somnifère... Je suis bloqué. Ou alors je suis dans le tipi. Ça doit être ça. J'ai rêvé l'histoire de l'avion. C'est la faute au chaman. Peut-être qu'il me veut du mal. Il faut que je me réveille. Mais je suis bloqué dans l'avion. Qui sera bientôt en flammes au pied d'un arbre.
Je faisais des pieds et des mains pour jeter quelque lumière sur des formes de pensée étrangères à l'univers connu, ou en tout cas délimité jusqu'à présent parce que quand même c'est pas possible avec tous les mondes différents qu'il y a qu'on soit la seule forme de vie intelligente possible! Mais j'étais malheureux à cause de l'arbre.
L'égocentrisme abstrait, c'est ce que je représente. Mais l'ego, c'est le monde. C'est ça qui fait la beauté du truc.
Lorsque l'avion aura fini sa chute, je serai sans doute mort. C'est donc dans mon intérêt qu'il ne se mette jamais à tomber. J'ai tout de même quelque pouvoir sur la chose. Mais il faut alors tout inverser: les lettres, la maison où je suis né, la direction de la fleur, de l'arc-en-ciel et de l'étoile filante, l'avion limite remonterait vers son altitude de croisière.
En conséquence: plus d'orthèse pour assurer mon cheminement. L'ambition d'attraper la lune.

(à suivre)

Antoine B.

vendredi 24 février 2012

Episode10

[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]


(Suite de l’histoire n°1) “Au bout d’un temps, la constitution du monde se réorganisa. Les houles du ciel en perte d’énergie, le Boeing d’American Airlines recadra sa position. Chaque voyageur put s’en remettre à la somnolence habituelle dans laquelle on se laisse fondre lorsque les voyages durent plusieurs heures. Ils oubliaient, ces voyageurs, leurs réminiscences où ils avaient vu en dernière instance l’aboutissement de la mort. Calbert, en revanche, s’avoisina derechef de l’ouragan mental auquel il était abonné depuis la mise en terre de son épouse. Il ne pouvait s’adonner à aucun sommeil, qu’il fût biologique ou dogmatique. Près de lui, le piranha de la finance piquait du nez sur une double page du Financial Times où l’on discutait des options économiques en vue du redressement de la Grèce. Calbert ne voyait pas comment il était possible de se consumer pour des sujets aussi traumatiques. En tout cas, l’économie européenne devait être plus rassurante pour l’esprit que la domiciliation d’une ribambelle de concepts littéraires. En ce moment, la littérature aggravait la déréliction de Calbert ; il se sentait orphelin d’amour et de scutigère. Cela dit, il ne progressa pas tellement dans cette ligne de réflexion puisque l’on fit savoir que l’atterrissage à Phœnix approchait. Par le hublot, on distinguait un horizon lumineux qui ressemblait à un grand feu de camp. C’était la ville qui brillait dans la nuit de l’Arizona. ” (Gregory Mion)


(Suite de l’histoire n°2) ”Le tonnerre grondait, un violent orage se préparait. La journée avait été terriblement longue et elle était loin d’être terminée. Cécile avait hâte de pouvoir retrouver les bras de Morphée et s’évader à nouveau vers sa destination favorite. Elle allait finir par tout connaître de la faune et la flore calédonienne avant même d’y avoir mis les pieds.

Après un bref arrêt au commissariat, Marc gara la voiture sur le pont et l’invita à lui montrer le chemin pour atteindre le lieu de l’agression. Cécile se sentait très fébrile. L’idée de se retrouver à cet endroit avec un représentant de la loi, qu’elle avait conduit elle-même ici de surcroît, la tétanisait.

Elle marchait d'un pas lent et hésitant, comme si elle cherchait à retarder le plus possible leur arrivée sur les lieux. Marc suivait docilement quand il s'arrêta brusquement. Cécile se retourna :

-" Marc ?"

Il était agenouillé dans l'herbe.

- "Il y a des cendres ici, et du bois brulé. Les traces d'un feu"

Cécile sentit son cœur se décrocher de sa poitrine.

- "...Ah bon ? C'est étrange..."

Elle bégayait presque. Marc marmonna à son tour :

- "Mmmm...C'est très bizarre. Nous ne sommes pas dans un endroit fréquenté par les gens. Les bordures de la rivière sont à peine praticables par ici. Qui donc a pu faire un feu à cet endroit...et surtout pourquoi..."

Cécile n'en revenait pas qu'il puisse être aussi suspicieux. Elle avait pourtant prises toutes les précautions nécessaires. Marc se retourna et s'approcha de l'extrême bord de la rivière.

- "Et il y a des poissons morts ici !"

Cécile n'osait même plus répondre. Une question, il fallait qu'elle trouve rapidement une question pertinente à lui poser afin de détourner son attention.” (Prisca)


(Suite de l’histoire n°3) “Si le problème était lié à ce genre d’évènements, Hestia ne voyait aucune solution pour y remédier… A moins de savoir ressusciter les morts… et encore fallait-il trouver la cause réelle. La mort de son poisson rouge ou d’une abeille pouvait être totalement hors sujet. Elle savait qu’elle finirait par trouver la réponse.” (Aimèphe)


(Suite de l’histoire n°4) “D'un côté, l'avion touché par la foudre prend feu, plonge dans l'inconnu pour s'écraser, a priori, d'après mes souvenirs, sur un arbre.
De l'autre, un petit scarabée gelé se sent mieux depuis qu'une abeille a fini par le laisser tranquille, l'abeille a disparu, le poisson mort dans sa poubelle rêve d'un rôle plus substantiel dans l'histoire du monde.
Au milieu, j'ai dormi longtemps, mais je vais me réveiller.” (Antoine B.)


(Suite de l’histoire n°5) “Elle posa la lettre sur le vide poche en cèdre et alla s'asseoir sur le canapé du salon. Après s'être assoupie quelques instants, elle se leva d'un bond, attisée par la curiosité et attrapa l'enveloppe. Sur son chemin pour la cuisine, Margaret essaya de deviner d'où pouvait provenir cette missive, elle la glissa dans la poche de son saut-de-lit et alluma la gazinière.” (Rose)

jeudi 23 février 2012

Episode 9

[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]


(Suite de l’histoire n°1) “Ce fut un doigt crispé qui fit la connaissance de Carrie Stove. Les ongles de Calbert étaient mal coupés, à moitié rongés, si bien qu’ils formaient des échancrures inesthétiques. Quand il appliqua son index sur la fesse droite de Carrie, plus exagérément qu’il ne pensait avoir la faculté de le faire, l’hôtesse défroissa son visage angoissé en composant un air de surprise. Elle crut d’abord à une piqûre. Carrie avait horreur des animaux propriétaires d’un dard car sa mémoire charnelle gardait un mauvais souvenir des guêpes de son adolescence. Par instinct, elle fit un tour complet sur elle-même, vérifiant le peuplement animalier qui pouvait éventuellement occuper ce terrain d’oxygène. Ne voyant rien, elle fit un rapide inventaire du sol. La scutigère se faufilait entre ses jambes ! Carrie ne tergiversa guère plus d’une seconde tant elle était convaincue que cette atrocité l’avait mordue. De son talon gauche, elle transperça l’insecte d’outre en outre. Tout cela avait eu lieu tandis que l’avion persévérait dans sa lutte. Seul Calbert avait observé le façonnement du quiproquo, les autres passagers étant anesthésiés par l’imminence d’une catastrophe. Voilà donc que la scutigère était réduite en bouillie et que sa tentative de socialisation avait fâcheusement échoué. En sus, Carrie rejoignit la grotte du personnel, située à l’arrière de l’appareil.” (Gregory Mion)


(Suite de l’histoire n°2) ”- « Les traces de pas ne sont pas toutes semblables, je dirais que deux personnes sont venues ici » lança Marc en beau milieu de son inspection.

Cécile abandonna l’espace d’un instant ses précieux insectes calédoniens :

- « Ah oui ? »

- « Vous ne savez vraiment pas qui a pu s’introduire chez vous ? Ni ce qu’ils cherchaient ? »

L’étau de la justice se resserrait sur Cécile. Le sujet devenait brulant. Fallait-il qu’elle mentionne une partie de l’histoire pour aider au mieux l’enquête ou devait-elle feindre de ne rien savoir ?

- « Je n’en ai vraiment aucune idée, Marc »

- « Ok. »

Marc ne semblait pas convaincu, mais il n’aurait su dire pourquoi.

- « Je vais repasser au commissariat afin de déposer les prélèvements au labo puis j’irai faire un tour à la rivière. Il va falloir que vous veniez avec moi également »

- « Oui très bien, je vous suis »

- « Si le moindre détail vous revient il conviendrait de m’en faire part au plus tôt, Cécile. Je compte sur vous »

Cécile sentait bien que Marc commençait à avoir de sérieux doutes quant à sa version édulcorée des faits. Et cela la déstabilisait de plus en plus.

Ils quittèrent La Hutte et prirent la direction du commissariat.” (Prisca)


(Suite de l’histoire n°3) “La chute ça, aucune difficulté d’interprétation, elle en avait saisi tout le sens…

Tout ceci avait piqué sa curiosité, à force de répétition, elle brûlait de savoir pourquoi et craignait que cette question n’eût aucune réponse. Peut-être n’avait-elle pas assez exploré tous les recoins de son rêve, peut-être n’avait-elle pas été assez attentive, qu’une parole de Nodiesop ou de l’abeille lui avait échappée et qu’ils lui en voulaient ou peut-être la réponse se trouvait-elle dans sa vie réelle. Dans ce cas, est-ce que la mort de son poisson rouge, Scapin – qui était en fait blanc et orange – pouvait avoir un lien ? Est-ce que le jour où son père tua une abeille de sang froid pouvait tout expliquer ?” (Aimèphe)


(Suite de l’histoire n°4) “On dirait que je vais mieux. Sorti du tipi, j'ai les idées plus claires. Dans l'avion, je dois être en train de me réveiller.
Les tours, c'est l'un ou l'autre. La mort tragique a laissé l'abeille toute retournée: elle est amoureuse d'un petit scarabée. C'est drôle ou triste?
Car elle le piquera dans l'étreinte, jugée pour meurtre elle sera condamnée au feu des enfers et au signal retournera à sa place d'où elle recommencera, car c'est une métaphore, son cycle coupable jusqu'à nouvel ordre.” (Antoine B.)


(Suite de l’histoire n°5) “Margaret fut réveillée au petit matin par la sonnette de son appartement. Elle se leva péniblement, attrapa la robe de chambre couleur feu qui pendait sur la vieille balance de pharmacien en fer forgé (Margaret avait toujours aimé les objets anciens et parfois inutilisables, certainement en souvenir de l'appartement de ses parents à Paris, où les livres faisaient office d'étagères...), et l'enfila. En croisant son reflet dans le miroir de l'entrée, elle aperçut un petit point rouge au creux de son épaule, sans doute une piqûre quelconque, elle décida de ne pas y prêter attention.
Elle ouvrit la porte, derrière se tenait Atem, le concierge. Il lui sourit, les plis de son visage semblaient comme dessinés au doigt dans de la glaise. Il lui tendit une lettre, un scarabée était imprimé au verso, puis, son dos se courba, il murmura un "ma'as salama" - au revoir en arabe - et détala comme une flèche dans l’escalier.” (Rose)

mercredi 22 février 2012

Episode 8

[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]


(Suite de l’histoire n°1) “Devait-il sur ce fessier déposer une main intrépide ? Désormais les bigarrures de la concupiscence envahissaient son esprit. Le suicide persistait quand même à l’état de bourdonnement, il continuait d’essaimer son poison, ne nous faisons pas d’illusions là-dessus. Ceci étant, l’intermédiaire du sourire en ficelle que le string dessinait sur cette géométrie turgescente temporisait les flux de la bile noire. Oui, il allait procéder comme à la maison, comme les gens qui se sont encastrés dans l’ordinaire de la répétition et qui n’ont plus peur de soutirer de leur fondement une flatulence sournoise qui, pourtant, ne provoque aucune réponse émotive notable chez le conjoint. Voilà comment il allait faire. Par analogie avec ce laisser-aller, il déposerait un ou deux doigts sur le tertre de ce postérieur et il verrait la réaction de l’hôtesse. Il n’y avait de toute façon pas tant de solutions que cela : ou elle lui assènerait une gifle d’indignation, ou elle croquerait cette initiative. C’était elle ou lui, sinon elle et lui, du moins à condition d’interpréter le premier « ou » comme une disjonction. Maintenant, le nœud dramatique résidait moins dans la résistance de l’avion que dans la suspension du geste obscène qui s’apprêtait à être commis. C’était une affaire dans l’affaire et elle impliquait d’une part le va-tout du professeur Calbert Robinson, d’autre part le seuil de moralité de mademoiselle Carrie Stove. Il était Noir, elle était WASP.” (Gregory Mion)


(Suite de l’histoire n°2) ”- « Très bien, je vous remercie mademoiselle Cerbiloni. Vous nous avez donné beaucoup de détails et c’est très important pour le bon déroulement de l’enquête. Néanmoins, il va falloir que je me déplace chez vous pour débuter mon investigation »

- « Je vous en prie, allons-y, monsieur… »

- « Lieutenant Tilmann. Mais appelez-moi Marc »

Cécile hésita un instant.

- « Euh...oui, merci, Marc. Je vous y conduis »

Ils sortirent du commissariat par la porte arrière qui donnait sur le parking. Cécile savait qu’elle jouait un jeu dangereux. Elle avait à la fois besoin d’aide pour comprendre ce qu’il se tramait autour d’elle et à la fois excessivement peur de se faire démasquer dans le même temps. Comme si au bord du gouffre elle réclamait désespérément un filet mais qu'il fallait impérativement qu'elle passe entre les mailles ! Décidément, la schizophrénie la guettait pour de bon. Elle repensait à cet homme masqué. Qui pouvait-il bien être ? Comment diable était-ce possible que quelqu'un d'autre eu connaissance de la valisette ?

Ils arrivèrent en moins de 5mn à La Hutte. Cécile se demandait d'ailleurs quel était l'intérêt de faire ce trajet en voiture. Elle comprit quand elle vu Marc sortir une mallette de son coffre. À l'intérieur, il y avait des instruments de types médicaux. Elle regardait pas mal de séries policières à la télé, elle savait que ces ustensiles bizarres servaient à "récolter des indices". Intéressant. Pourtant, tout en l'observant faire, elle ressenti peu à peu un picotement traverser sa colonne vertébrale. Pour la première fois, elle sentait la peur l’envahir. Elle eut envie d’attraper et de serrer la main de Marc. Mais il fallait qu’elle se ressaisisse. Elle prit donc une profonde inspiration et se mit à repenser à Arc-en-ciel voyages et à tous ces fruits et ces insectes exotiques qu'elles allaient découvrir en Nouvelle-Calédonie quand tout cela serait fini.” (Prisca)


(Suite de l’histoire n°3) “Puis l’absurdité s’était emparée de sa vie nocturne. Nodiesop, la tortue Cherokee, l’abeille s’étaient créés un univers au cœur de ses rêves. Il y avait parfois Lobtu l’extraterrestre qui s’immisçait parfois mais lui ne parlait pas français, elle n’y comprenait rien. Finalement son imagination onirique la dépassait et elle ne comprenait pas ce que signifiait l’interruption brutale des aventures de Nodiesop.

Pourquoi, cette main, cette lumière, ces bruits de pas au loin et toute cette angoisse qui l’empêchait de respirer ?” (Aimèphe)

(Suite de l’histoire n°4) “Lorsque je me réveille, je sors la tête du tipi et je regarde de chaque côté. Je dois avoir l'air d'un extra-terrestre, avec mes yeux tout lapidés par les fumées narcotiques. Quelqu'un passe qui me montre sa main vide pour m'assurer de ses bonnes intentions. C'est gentil.
En levant la tête, j'aperçois un arc-en-ciel et j'hésite entre deux possibilités opposées mais complémentaires: soit la mort, tragique, d'une abeille écrasée par une pomme (au Paradis des Abeilles, on joue aux fléchettes avec pour cible un portrait de Newton); soit l'option plus comique d'une maison hantée en forme de L.” (Antoine B.)


(Suite de l’histoire n°5) “Elle resta un moment dehors, écoutant les lointains klaxons de la ville agitée par la tombée de la nuit, puis elle rentra et décida de se mettre au lit. Elle s'allongea sur les draps rafraichis par l'air conditionné et attrapa le livre de Fitzgerald qu'elle avait commencé lors de son voyage pour Paris, quelques jours plus tôt. Elle en lut quelques pages, puis, bercée par le chants des grillons du jardin, elle ferma un œil, puis deux, et plongea dans un sommeil profond.” (Rose)

mardi 21 février 2012

Episode 7


[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]


(Suite de l’histoire n°1) “Il était décidé à faire la lumière sur cette exquise hôtesse – récupérer son adresse, recenser les monstres de son enfance, ceux qui sont cachés dans nos placards avec des têtes hideuses, connaître ses fleurs préférées, reparler derechef des monstres domestiques, et ainsi de suite jusqu’à l’épuisement des ressources formelles que l’on peut soutirer d’une première discussion. Pas une once de culpabilité ne l’étreignit à l’idée d’entrer en séduction. Si cette femme avait le pouvoir de lui redonner le goût de vivre, alors il n’était pas contre à plonger dans un fleuve d’érotisme, quitte à nager à contre-courant, en totale discordance avec le cadavre de son épouse, dont la putréfaction avait déjà dû commencer, aidée par le magnétisme des vermisseaux qui sont un peu les scutigères des sous-sols. Oh il n’était pas rempli d’allégresse devant pareille ambivalence ! D’un côté il y avait ce cadavre qu’on ne lui avait même pas permis de voir, et de l’autre il y avait cette femme en uniforme qui accaparait le caractère inquisiteur de sa vision. Du reste, comme il était assis et qu’elle était debout, qu’elle lui tournait le dos et qu’elle était légèrement penchée sur le côté du fait de sa main posée sur le siège, il saisissait le détail d’une fesse bombée qui remplissait un coin de la robe et qui laissait deviner la délicatesse d’un string, un de ces détails dont raffolent les adolescents, les célibataires et les veufs.” (Gregory Mion)


(Suite de l’histoire n°2) ”Assise sur un banc à côté du radiateur, elle patienta environ une heure. Non pas que le commissariat fut bondé ou que les policiers furent débordés, bien au contraire…mais personne n’était encore venu prendre sa déposition. Finalement, un jeune homme l’invita enfin à passer dans son bureau. Il était fort aimable mais ne semblait pas dans une forme olympique. Son visage, comme aimanté par le sol, se décrochait à mesure qu’il faisait un pas devant l’autre. Cécile lui raconta en détail l’épisode du pont, ce qu’elle eut le temps de voir, son éveil chez elle, les traces de pas…elle n’oublia aucun détail, et mentionna même la lampe qu’elle avait sur elle et qui avait disparue à son réveil, les pétales de fleurs qu’elle trouva dans sa poche, la canne de son grand-père sans laquelle elle n’aurait jamais pu se relever, et même le miaulement d’un chat qui l’a fit sursauter quand elle se « baladait » sur les berges juste avant que l’homme masqué ne fasse son apparition. Elle lui raconta absolument tout - tout, sauf l’essentiel évidemment.” (Prisca)


(Suite de l’histoire n°3) “Depuis la disparition de Léane, ses fleurs s’étaient fanées peu à peu et ses livres étaient devenus inutiles, oubliés, personne n’osait ranger la maison de peur d’éloigner son âme à jamais de sa demeure. Les nuits d’Hestia étaient cauchemardesques, elle ne pouvait s’endormir sans la lumière allumée dans sa chambre et toute une ribambelle de peluches tout autour de son oreiller pour la protéger.

Après quelques mois, ses angoisses s’étaient estompées, la vie avait repris son cours car Hestia s’était persuadée que sa grand mère veillait sur elle, tel un ange gardien.” (Aimèphe)


(Suite de l’histoire n°4) “On devrait être presque arrivés. Le temps qu'apparaisse une fleur sur l'appuie-tête de mon voisin; vite!, je l'attrape et la glisse dans ma poche. Au moment de me retourner, je me rends compte que l'enfant assis derrière moi m'a vu, il risque de compromettre mon incognito, mais heureusement il y a un loup-garou derrière lui qui va le manger bientôt, je n'ai qu'à laisser la nature faire son travail.
Hum. Je ne dois pas être bien réveillé. Je me retourne et fait semblant de me rendormir, c'est peut-être le meilleur moyen de me réveiller.
En imaginant que je sois encore en train de rêver, sous l'effet de mon somnifère, cela expliquerait pourquoi... mais la fleur! Mais j'ai pu rêver qu'elle apparaissait. Cette historie de loup-garou n'était quand même pas très nette. Donc, si je suis encore en train de rêver, sous l'effet de mon somnifère... Donc, si je suis encore en train de rêver...
Je me suis rendormi. C'est sans doute bien, quand je me réveillerai on sera arrivés. J'aime dormir en voyage.
J'ai peut-être trop travaillé ces temps-ci. C'est que j'essaye de rattraper un retard initial. Mais tout de même, mon œil intérieur continue d'être aimanté par le malheur, toute l'architecture du monde est à l'envers, aucun flambeau dans mon obscurité, aucune orthèse pour me soutenir. Et mon chaman qui ne fait rien! ” (Antoine B.)



(Suite de l’histoire n°5) “Margaret avança dans le couloir sombre qui menait à son appartement, et poussa la porte en bois gonflée par l'humidité avec difficulté.
A l'intérieur, l'air était lourd, et le ficus dans l'entrée paraissait tristement défraichît. Elle jeta sa valise dans sa chambre, et entra dans le salon. Elle resta un moment dans le noir, observant la rue à travers l'une des fenêtres, puis elle l'ouvrit et sortit sur la terrasse.” (Rose)

lundi 20 février 2012

Episode 6


[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]



(Suite de l’histoire n°1) “Les dispositifs lumineux chargés de nous rappeler que la ceinture de sécurité doit être attachée étaient en alerte. Ils dégageaient une phosphorescence surnaturelle, comme la chevelure dorée d’une princesse retenue au sommet d’un donjon contraste avec la noirceur de l’édifice. Sous l’effet de cette pyrotechnie artificielle, le suicidaire se détourna un instant de ses ratiocinations, quitta la scutigère des yeux en même temps que ses projets mortifères, revit le piranha qui se cramponnait à son magazine, une sueur de bœuf ensemencée sur sa figure, et il tomba sur cette main féminine qui fleurissait sur le dessus de son siège, enracinée parce qu’elle se cramponnait aussi. Il ne se demanda pas longtemps à qui elle appartenait ; il n’eut qu’à remonter la pente corporelle qui allait de la main à l’épaule, puis de la clavicule au cou, et enfin il soupesa la vue de dos qui s’offrait à lui, tel un immeuble filiforme domine une avenue dont les bâtiments sont en majorité construits dans le sens de la largeur. Nous n’aurons aucun mal à identifier l’hôtesse qui surplombait de sa fonction (et de son allure) les ruelles d’un avion qui s’enfonçait dans l’épouvante.” (Gregory Mion)



(Suite de l’histoire n°2) ”Un quart d'heure environ s'écoula avant qu'elle ne réussisse à se relever complètement. Elle s'apprêtait à retourner sur les bords de la rivière quand elle vit qqch parterre près de l'escalier. Des traces de pas. Des empreintes qui venaient du premier étage et qui se dirigeaient vers le salon. Elle suivit le chemin emprunté par ces pieds inconnus et se vit menée à la porte dérobée du bureau. Très bien. C'en était trop, elle décida de se rendre au commissariat. Allait-il falloir qu'elle soit habile tout de même, car elle avait elle-même des choses à cacher. Mais elle ne se sentait désormais plus en sécurité, il fallait qu'elle fasse quelque chose. Qui de mieux que les représentants de la loi pour assurer sa protection ? Ce ne serait certainement pas à son électricien de frère, membre permanent de la fédération officielle des abonnés absents, qu'elle pouvait envisager de demander secours. Ni à sa comptable de sœur, dont la vie ressemblait a s'y méprendre à un monastère en plein hiver. Et elle n'avait pas d'autre famille. Quelques amis, certes, mais de toute manière il fallait qu'elle reste discrète. Et paradoxalement il lui semblait beaucoup plus simple de dissimuler l'essentiel à la police qu'à ses proches. Elle pris son sac et se mit en direction du commissariat. Ce n'était pas très loin, dans les petits villages comme celui-ci, les forces de l'ordre siègent toujours au cœur de la petite cité. Ce qui parfois peut-être un vrai problème, mais en l'occurrence cela l'arrangeait bien. Dans les grandes villes, la maison de la loi réside souvent au rez-de-chaussée d'un immeuble en béton de cinq étages. Ici, on venait demander secours dans une maisonnette qui ressemble à une école primaire un lendemain de kermesse. Il y avait même des ampoules multicolores et des fleurs en plastique qui ornaient l'entrée. Fallait-il y voir un manque de crédibilité certain ? Leurs investigations étaient-elles à la hauteur malgré tout ? Autant de questions que tout le village se posait régulièrement.” (Prisca)



(Suite de l’histoire n°3) “Sa grand-mère était une très belle femme qui vivait seule dans sa tour d’ivoire entourée de livres et de myriades de fleurs de toutes les couleurs qui sentaient bon le bonheur. Elle adorait les énigmes et les échecs, s’insurgeait contre l’injustice, militait contre le racisme et figurait parmi les esprits les plus éclairés de notre siècle. Elle était en effet célèbre pour ses écrits philosophiques et ses essais contre la peine de mort du temps où les têtes des condamnés étaient encore coupées sous le joug de la justice. Mais ce qu’elle aimait par dessus tout, c’était le plaisir simple de se promener pieds nus sur la plage avec Hestia en lui contant les mythes de la Grèce antique.” (Aimèphe)



(Début de l’histoire n°4) “J'ai regardé ce que faisaient les autres autour de moi. Objectivement, et même si l'on s'occupe de nous en nous ôtant du même coup une part de notre indépendance, et même si en dernière instance nous dépendons des plans que Vulcain a tracés pour nous à coups d'éclair hasardeux (ou non) dans le ciel, les passagers d'un même avion partagent un intérêt commun, celui d'arriver à bon port, et forment donc une équipe.
Seulement, on ne sait jamais qu'a posteriori ce qui se passe dans la conscience d'autrui. En plus, en ce moment, tout le monde dort. Il faut je crois me satisfaire d'avoir ramené l'avion sur son trajet initial, de m'être éveillé un moment.
Sauf que je n'arrive plus à me rendormir: tout tordu dans mon siège de classe économique trop petit pour moi, ma position corporelle doit ressembler, vue de l'extérieur, à un point d'interrogation inversé. C'est dire si j'ai besoin de m'étirer.
Si j'étais dans une tour plutôt que dans un tipi, on pourrait imaginer les choses autrement: soit dans un univers médiéval, je marcherais pieds nus à la recherche d'une fleur magique dont le pollen en potion rendrait la vie à ma dulcinée cataleptique; soit dans la jungle urbaine contemporaine, j'aurais une idée pour réduire les inégalités économiques, mes voisins m'aimeraient bien.
Mais c'est un tipi alors je suis dans un avion.” (Antoine B.)



(Suite de l’histoire n°5) “Elle poussa la porte de l'immeuble et monta dans l'ascenseur. Elle avait toujours trouvé que c'était un lieu propice à la réflexion. Elle regarda ses ongles, et l'ascenseur s’arrêta dans un soubresaut.” (Rose)

samedi 18 février 2012

Page 1 (Rose)

[Compilation des épisodes de la semaine, formant la page 1 du texte de Rose]

Margaret décida en un éclair, le 27 juillet 1988, jour de son anniversaire, qu'il n'était plus la peine de se questionner.

Elle s'était endormie la veille dans un avion qui la ramenait chez elle et avait rêvé d'une forêt sombre dans laquelle des centaines d'abeilles étaient prisonnières. Elle s'était réveillée juste avant que le déjeuner aérien soit servi. Un étrange odeur de fumée subsistait dans ses narines; en avalant ses sardines, Margaret repensa au surnom que Thomas lui avait donné: "petit scarabée".
Comme dans un roman photo, un flashback dans une série américaine des années 80, elle se remémora leur conversation de ce jour là, Thomas lui avait alors jeté un regard lourd de sous-entendus, elle sentit son cœur; longtemps cadenassé par les sentiments qu'elle éprouvait à son égard; se décrocher dans sa poitrine et elle fut emporté dans un torrent de larmes.
Depuis qu'il avait coupé les ponts, Margaret ne s'était plus jamais sentie elle même.
Margaret monta dans un vieux taxi vert et blanc connu pour leur manque de climatisation, un nuage de poussière derrière elle. Le vent chaud du désert s’engouffrait dans l’habitacle par la fenêtre entre-ouverte côté conducteur. Sur la route la ramenant à son appartement de Zamalek, elle laissa son regard se perdre dans les nuages moutonneux qui cachait le soleil d'hiver.
La vieille Peugeot quitta l'autoroute du centre par la bretelle ouest, de laquelle on pouvait apercevoir la carrière du Sporting Club, où deux équipes de polos s'affrontaient. C'était un lieu paisible et verdoyant, malgré la pollution et le tumulte environnant de la ville du Caire. Margaret se souvint d'une après-midi d'été qu'elle avait passé là-bas; elle avait retrouvé son amie Leigh pour déjeuner, la lumière des rayons du soleil se reflétait alors à la surface des fontaines en grès qui ponctuaient les chemins serpentant entre les arbres fruitiers; Leigh avait plongé la main dans son sac en toile, et en avait sorti une boite. En l'ouvrant, Margaret avait eu la surprise d'y découvrir la carapace d'un scarabée.
Le soleil s'était éteint, elle ferma les yeux, et passa la main dans sa nuque humide, la température était anormalement élevée pour un soir de janvier. Quand le taxi s'arrêta devant chez elle, au 21 de la rue Al Brazial, elle glissa dans ses sandales détachées et ouvrit la porte de la voiture.
Une brise lui caressa la joue et secoua doucement les feuilles du sycomore qui se trouvait à côté d'elle. On pouvait apercevoir une nuée d'insectes voler autour du lampadaire qui éclairait faiblement la grille de l'immeuble Abd-el-Mounir.
Une étoile filante traversa le ciel si clair des soirs de pleine lune; ou peut être était-ce un avion; Margaret fut prise d'un vertige, et sa vision se brouilla pendant quelques secondes. Elle s'appuya contre le mur, encore chaud, et leva les yeux. En regardant cette lune si pure, elle fut transportée dans l'oasis de Siwa, palmeraie luxuriante au milieu du désert brulant à la frontière libyenne, où elle avait passé son enfance. Toutes les nuits, les Siwis allumaient des lampes à huiles et en bordaient les chemins, les ombres des passants dansaient sur les murs, et l'odeur si particulière de pétrole brulé se mélangeait à celle des dattes trop mûres qui roulaient dans la poussière.
Margaret ouvrit la poche extérieure de sa valise Samsonite, et tâtonna à la recherche de ses clés...



(à suivre)

Rose