samedi 3 mars 2012

Page 3 (Antoine B.)

[Compilation des épisodes de la semaine, formant la page 3 du texte d'Antoine B.]


Car je ne suis pas le narrateur de cette histoire. Mes rêves s'insèrent dans les interstices du réel, mais je n'ai pas le pouvoir de la narration - d'où ma difficulté à faire avancer ce récit par la moindre action décisive.
Le Narrateur, lui, était assis quelques rangs derrière moi, le temps de réunir les informations nécessaires à son récit; il pense en avoir assez vu et flotte à présent dans les airs, suspendu à un parachute, en direction de montagnes rocheuses et en grande partie enneigées - mais ça n'a pas l'air de l'inquiéter et ce n'est pas mon rôle de veiller sur lui.
Le Narrateur est un sacré gaillard, après tout: d'après son profil Facebook, il a exploré la nuit boréale armé d'une seule lampe torche, rentré chez lui a inventé une ampoule à filament indestructible, "pour ne plus jamais être seul dans le noir" a-t-il déclaré, c'est vrai qu'il était émotionnellement instable après ce voyage, son seul ami pendant des mois était une tortue dont il avait orné la carapace, peu à peu, de douzaines d'ampoules resplendissantes, la tortue a fini par mourir, condamné en justice il s'est exilé pour la Nouvelle-Zélande où il a élevé des moutons, en se sentant triste, jusqu'au jour où son troisième œil a commencé à le démanger.

Mais c'est une autre histoire que lui seul peut vous raconter. Or il est en ce moment quelque peu occupé: ayant fait virer son parachute en direction d'une ville au pied des montagnes, il fait passer le temps de la descente en pensant au poisson mort par ma faute. Au néant qui menace toujours.
Le Narrateur est à présent un jeune homme d'une trentaine d'année, grand, brun et maigre. Il a en sa possession un téléphone satellite et une carte bancaire, mais il a sommeil. Quand il sera revenu sur terre, il ira se trouver une chambre d'hôtel pour faire un somme avant de continuer sa quête.
C'est une affaire de scarabée et de cadenas. Le Narrateur doit la résoudre à tout prix.
Le problème c'est que chaque fois qu'il a une idée, ça tourne mal. Côté animal, il est bredouille. Côté cadenas... l'avion en flammes s'écrase sur un arbre.

Comme dans un jeu de dés, c'est le hasard qui le fait progresser. Moi, je connais ça, mais lui, mon Narrateur, ne s'y est pas encore habitué. Il m'a laissé dans l'avion qui vole vers le néant et, quant à lui, tente de s'y retrouver.
Il a l'impression d'avoir marché à reculons depuis le début, d'avoir toujours possédé la clé du cadenas mais sans l'utiliser, comme s'il comptait sur la magie ou sur d'anciennes catégories de discours pour lui montrer la direction à suivre. Il comprend à présent que c'était une erreur, une injustice à réparer.

Cependant, toutes les directions sont possibles. Certaines ne mènent à rien, d'autres sont lentes, d'autres égrènent un décompte par trop rigide, certaines tombent à plat, d'autres ne veulent rien dire, d'autres encore sont trop carrées, certaines semblent venir d'une autre planète, enfin les dernières sont tristes, et personne n'aime être triste.
Cependant, toutes les directions sont possibles.




(à suivre)

Antoine B.

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